L’apprentissage.

Samuel prit en charge les cours théoriques de la formation de Claire, comme un bon professeur. Durant deux jours, mon frère et Claire s’étaient retrouvés à la bibliothèque où il faisait cours à notre étudiante. Le nouvel ange connaissait déjà les grandes lignes, ayant chacun notre tour enfreint la première règle au temps de son humanité, répondant à ses interrogations. Ces deux jours n’étaient que des formalités obligatoires. Chaque ange se devait de connaître l’histoire du ciel,  la hiérarchie céleste ainsi que les règles à respecter scrupuleusement, même si dans notre cas, c’était d’une grande  utopie.

Claire était studieuse. Il était si facile de lui enseigner. Une vie n’aurait pas été assez pour profiter de sa compagnie. Je nous trouvais chanceux de l’avoir pour une éternité. Elle était si douce, si gracieuse et si intelligente.

Après l’histoire du ciel, Samuel fit cours de vol. Caché un peu plus haut je n’en perdais pas une miette, Claire devait maitriser ses ailes. Après le sérieux de la bibliothèque, l’intimité du ciel avait vite laissé place à l’euphorie. Tous deux dans les cumulus, le cours avait commencé par une partie de cache-cache. Samuel paradait, faisant des  figures de voltige, sortant par surprise des nuages. Claire, encore empruntée, ressemblait plus à un oiseau tombé du nid qu’à un phénix.

    - Gr, cela paraît tellement facile lorsque je te vois faire, pourquoi je n’y arrive pas ! 

    - Concentre-toi, laisse-toi porter par les différents courants d’air. C’est une question d’entraînement. Tu vas y arriver, ferme tes ailes et laisse-moi te montrer.

Samuel se colla derrière Claire, il referma ses bras sur elle.

    - Prête, bel ange ? 

    - Mais que fais-tu ? 

    - Laisse-toi porter, essaie de ressentir les changements de vent pour comprendre les différents vols. Quand tu auras compris tout te paraîtra facile. 

Samuel s’était lancé dans les nuages, déployant alors ses ailes, tenant son élève comme un oiseau entre ses griffes. Il effectua plusieurs virements de bord en utilisant les courants d’air ascendants pour finalement rester suspendus. Ils planaient à l’unisson, tel un albatros. Un air frais vint gifler le visage de Claire, Samuel pivota et fit bouger son plumage en mouvements fluides, c’était le vol battu ; il faisait preuve d’une aisance suprême. Claire, en cet instant magique, s’était dit pouvoir mourir après avoir vécu une expérience aussi exaltante et elle riait d’elle-même tellement cette pensée était stupide. Jamais elle n’avait ressenti un si grand  bonheur. Pouvoir voler, tout le monde en rêvait un jour. Tel un voyeur, j’observais le cours, mon frère agissait exactement que je l’aurais fait moi-même, c’était terrifiant et divertissant à la fois. Il me suffisait de le regarder pour avoir l’impression que c’était moi qui donnait le cours.

Samuel fit différentes embardées dans les courants d’air et, après un quart d’heure de vol, il se posa dans un gros nuage douillet. On aurait dit un gros coussin moelleux, c’était frais, tendre et vaporeux.  A peine le pied posé sur la grosse barbe-à-papa blanche, Claire trépignait d’impatience d’y retourner.

    - C’était génial, il n’y a rien de plus grandiose que ce que je viens de vivre, je veux apprendre vite. 

    - On dirait une petite fille. Tu me fais rire, tu es si rafraîchissante, comment ai-je pu vivre sans toi tout ce temps. Je n’en pensais pas moins.

Claire se jeta à son cou et picora ses lèvres d’un baiser langoureux. Je t’aime,  tu m’aimes, rien ne pourra nous séparer.

    - Notre amour sera plus fort que la vie, plus profond que nos âmes, plus important qu’une couleur. 

    - Oui, après avoir attendu tant de vies, nous pouvons enfin vivre  cette passion que les années n’ont pas ébranlée. C’est cet amour qui nous rassemble, là ensemble l’un pour l’autre, pas de barrière, pas de frontière, juste nous deux. 

Ils s’enlacèrent l’un contre l’autre. Claire étendit ses ailes et commença à prendre de l’altitude au-dessus de son professeur amoureux.

    - Il paraît que l’amour donne des ailes, regarde moi, je vais t’étonner. Elle avait toujours eu beaucoup de caractère et d’humour, j’étais persuadé qu’elle allait persévérer.

Claire venait de prendre son envol, elle apprivoisait les flux d’airs, elle tournoyait avec grâce et légèreté. Les cours de Samuel touchaient à leur fin, j’allais prendre le relais, pendant les cinq jours suivants.

Samuel espérait que tout se passerait bien, il devait être patient et me laisser la place. Le travail des uns et des autres était propre à chacun. Ange noir était un métier très particulier.

La complicité avec mon frère et nos conversations d’avant me manquaient. Mon cœur serait toujours partagé entre l’amour d’un frère et l’amour pour Claire. Il faisait partie intégrante de moi et pourtant nos chemins s’annonçaient bien différents. Heureusement, je pouvais toujours entrer en contact avec lui en pensée. Mais plus rien ne serait comme avant. Les cartes avaient été redistribuées. On ne jouait plus à la même table de la vie. Sans savoir quelles seraient mes nouvelles prérogatives, je savais que mon chemin serait sombre et difficile, bien trop éloigné des devoirs d’un ange. Dans le regard de Samuel, je comprenais qu’il me voyait courageux et fier d’être une partie de lui. Moi, je ne me voyais plus nulle part, j’avais perdu ma place et mes repères les plus élémentaires.