La voix de l'ange.

   Gabrielle était bien sous la verrière. Assise au bord de l’eau, elle se prélassait, les pieds dans le petit courant d’eau de la fontaine du jardin. Le soleil, qui brillait sur sa chevelure, la sublimait. Une déesse prenant un bain de soleil. Le tableau était tellement beau qu’il était cruel de le déranger. Je reviendrais plus tard. Je m’apprêtais à faire demi-tour quand Gabrielle m’invita à la rejoindre en pensée.

     - Où partais-tu comme cela, mon fils ? 

     - En fait, je craignais de vous déranger mère. 

     -  Mon petit Satya, tu ne me déranges jamais, Artus vient de prendre congé il y a quelques instants. 

     -  Il revient avec de bonnes nouvelles ? 

     - Malheureusement non, mais les investigations avancent bien. Sur terre la genèse  continue. Le banni applique notre propre fonctionnement : Tel un ange noir, il prend la vie d’une de nos élues du septième cycle pratiquement ange. Chaque ablution modifie sa carte génétique et son sang est plus pur, plus proche de notre sang bleu à nous. J’en déduis donc  que nous sommes autant en danger que nos protégés. Notre sang a des propriétés qui semblent beaucoup les intéresser. On peut penser que si l’un de nous était capturé, la mort serait certaine et des vampires puissants en renaîtraient. Oui, j’entends ton horreur, un sang pur bleuté pour enfanter une race plus forte. Le reste du temps, les petits mutants en progression continuent à se nourrir de la population basique. Le plus triste et inacceptable  c’est que nos protégés meurent par notre faute et tout notre cycle de vie est menacé. 

J’étais  stoïque. Comment Artus avait-il réussi à rapporter autant d’informations, alors que moi je n’avais rien trouvé ?

     -  Tu te trompes, ce que tu viens de me rapporter est aussi important qu’Artus. Claire t’as confié une chose précieuse, laisse-moi voir. 

 Nos mains jointes, je plongeai mes yeux dans ceux de ma mère. Il était difficile de devoir regarder encore cette mascarade macabre.

     - Eh bien, nous savons à quoi il ressemble. Soltan a vraiment mauvaise mine c’est affreux, lui qui était si beau au temps jadis. 

     - Gabrielle, avez-vous réussi à établir une connexion avec la petite ? 

     - Oui, mais elle verrouille chacune de mes intrusions dans son esprit quand j’arrive enfin à l’entrevoir. Je  sens qu’elle cherche des repères. Elle apprécie la compagnie de la dame en noir en qui elle semble prendre confiance. Mais tout ça c’est du ressenti, rien de concret. 

     - Une dame en noir, la voyez-vous ? 

     - Non ; mais je sais qui est cette femme, alors ce n’est pas très important. Je l’entends parfois parler à la petite Elisabeth. C’est ainsi que Moeira nomme le bébé.

     -  Elisabeth c’est un beau prénom.  Mes pensées  allaient vers Claire. Moeira était donc avec le bébé. Il suffisait de retrouver Soltan pour retrouver l’enfant.

    - Le pouvoir de la petite se développe. Elle semble maîtriser parfaitement  les accès de ses pensées, contrairement à toi mon fils.  Je verrai Claire, mais pas avant d’être sûre de ne pas lui donner de mauvaises nouvelles. 

    - Ne pouvez-vous pas faire connecter la mère et la fille ? 

    - J’y ai pensé, mais je pense qu’au final ça risque de faire de la peine à chacune d’elles. Claire doit commencer à prendre ses nouvelles responsabilités en compte et il ne serait pas bon de rompre le faible équilibre, qui demeure ces derniers temps dans le cœur d’Elisabeth. Moeira joue à la maman. Etrangement, ça semble bien se passer. Je ne veux pas risquer de la mettre en péril si jamais l’harmonie naissante cessait inopinément. 

    - Claire ne va pas tirer un trait sur cette maternité, elle l’espère secrètement depuis des vies. 

    - Tu ne devrais pas t’inquiéter pour cela, son travail va modifier les petites anomalies qui subsistent actuellement. Chaque ablution pratiquée la tirera vers le ciel. Dans quelques temps, elle ne se rappellera plus rien de sa vie terrestre et elle oubliera aussi le bébé. 

    - Mais c’est horrible, comment pouvez-vous cautionner une chose pareille, vous qui êtes mère ! Je pense qu’aucune ablution ne saura effacer un lien maternel quel qu’il soit.  Je ne sais pas quoi en penser mais moi je ne vais jamais oublier. 

    - Non Satya et heureusement, Elisabeth a besoin de toi. 

    - Samuel est au courant? 

    - Oui, c’est pour cela qu’il ne lui en parle jamais ; lui-même doit déjà accepter tout ce dysfonctionnement. Je pense que c’est un juste retour que lui rendre son amour vierge de sa vie terrestre. Je suis navrée pour toi, mais ton destin est ailleurs mon ange, et c’est ta fille ton avenir et le devenir de tous ici. Tu dois faire une croix définitive sur Claire. Tu savais dès le départ qu’elle ne te serait pas destinée. Elle n’a pas choisi la facilité, certes, et son plumage reste encore un obstacle à leur amour. 

     -  Je fais le deuil de cet amour tous les jours et je me bats pour notre fille. Chacun doit assumer les conséquences de ses actes, c’est bien cela ? 

     - C’est exact. M’affirma t elle.

     - Je sais que j’ai mal agi, mais elle aurait très bien pu me choisir. Nous avons un enfant ensemble, nous formons un couple, parental mais un couple tout de même. 

     - Tu dois m’entendre Satya et comprendre qu’il faut être deux pour former cet ensemble et que, ni dans l’amour et bientôt ni dans la parentalité,  vous ne serez jamais deux. Je suis désolée. Un jour tu trouveras la bonne personne, celle qui te rendra meilleur et te fera oublier Claire. Il faut maintenant prendre de nouvelles directives, plus personne ne descend sur terre sans collier. Est-ce que la première utilisation du bijou est aussi difficile à supporter qu’on le dit ? 

     - Pour un ange n’ayant jamais connu la douleur, sûrement et grâce à Soltan ce n’est pas mon cas, mais  c’est très pratique et je pense que c’est une très bonne décision. Nous ne pouvons rester à découvert sur terre. 

     - Aucun ange n’est censé éprouver de la douleur, de la colère ou de la haine Satya, ça fait partie des préceptes du ciel. Tu es  un homme maintenant, il est temps pour toi de prendre tes responsabilités.  Un jour, tu retrouveras la paix de l’esprit et tu seras délivré à jamais. 

     - Seul le temps pourra peut-être faire cela et chaque minute est une éternité. Un jour, peut-être tout redeviendra ainsi. 

     - Il t’en incombe en partie, à présent, ne perds jamais de vue l’essentiel. Les bonheurs les plus grands sont de petits morceaux de vie, qui construisent des souvenirs que personne ne peut te prendre. Aucune sensation n’est plus parfaite que ces moments uniques, qui procurent à l’âme l’essence de l’amour, du partage et du bonheur.  

Je ne comprenais pas où elle voulait en venir, mais comme d’habitude sous ses mots si jolis se cachait forcément une leçon de vie. Je mis ces phrases dans un coin de ma tête et revins à ma priorité.

    - Je sais et je ferais de mon mieux. Mais il reste un souci d’ordre moral ! Nous n’avons pas le droit de tuer. Comment allons-nous nous défendre face à ce fléau. 

    - C’est une très bonne question,  nous travaillons dessus ; Artus saura certainement mieux te renseigner. D’ailleurs, il lui tarde de s’entretenir avec toi, je te conseille de vite le rejoindre. 

J’étais agacé par ce que je venais d’entendre. Finalement, Gabrielle était bien la femme de Michel. Je ne l’avais encore jamais vue sous ce jour ; un choc nouveau, j’avais l’impression d’avoir ouvert les yeux sur un monde nouveau, moins rose, moins sécuritaire. Je saisis l’occasion pour immédiatement  prendre congé de ma mère. La priorité venait de se dessiner dans cette dernière phrase. Comment mettre fin à une guerre naissante sans verser de sang ? Comment se battre avec les armes du cœur, contre la haine et la folie ? L’amour ne suffirait pas.  Les unificateurs donneraient-ils leur accord pour un affrontement, et sous quelles conditions ? Comment cesser d’aimer Claire …