Chapitre III-Prologue d’un vampire.

Je m’appelle Moeira. Le temps s’est arrêté à l’aube de mes vingt-cinq ans,  il y a maintenant cent vingt années. Cent vingt ans que je survis par amour.

Il y a bien longtemps, j’ai rencontré l’être le plus parfait et le plus insolite que la terre ait porté. Rien ne pourrait jamais nous séparer, pas même la mort m’avait-il promis. Evidemment je ne mesurais pas alors le poids et la tournure que pourrait prendre cette phrase.

Il a tenu sa promesse, j’aurais aimé pourtant avoir le choix. Je le voulais pour l’éternité, lui et personne d’autre. Il a exaucé mon souhait et je lui en veux chaque jour que le diable fait. Je ne sais plus quand mon cœur a cessé de battre correctement, ni dans quelle circonstance la mort est devenue notre mère à tous les deux, c’était il y a si longtemps. Pour l’amour de mon bien aimé, par folie aussi, je suis devenue le mal incarné. Une chasseuse aux dents longues, une prêtresse de la nuit, une furie assoiffée.

Au départ, je faisais un carnage, telle une bête sauvage je m’abattais sur ma proie au détour d’une ruelle mal éclairée, une maison isolée, un coin sombre. Préférant la chasse nocturne, j’opérais à la nuit tombée. J’avais l’avantage, mes yeux voyaient clair comme pour un humain le jour. Lassée de revenir couverte d’hémoglobine,  de perdre mon temps à laver ma longue tignasse rousse et de devoir jeter mes belles tenues, j’avais opté pour le vite fait bien fait, me mettant au défi de revenir le plus propre possible à chaque fois, mais  aussi par dégout pour moi-même. J’avais honte et je ne pouvais pas me contrôler. A présent, je peux m’enivrer en talons hauts, vêtue de blanc, personne ne pourrait soupçonner mon méfait. Chaque attaque est vive et directe. Je n’utilise même plus  mon pouvoir hypnotique qui me fait perdre trop de temps et m’oblige à garder en mémoire le regard apeuré de mes victimes.

Rien à voir avec Soltan, mon époux dans l’éternité. Qui aurait pensé un jour, qu’un ange se sent aussi bien dans des chaussures de démon. Il sait rester propre, mais prendre la vie est légion pour lui. Il aime prendre son temps, humer la proie, la goûter, la savourer. Chaque chasse est un buffet unique. Ça prend énormément de temps pour un seul humain, jusqu’au moment du dernier souffle de vie. C’est sa coupe de champagne pour le dîner. Je suis  intimement persuadée qu’il s’attache à faire cela en référence à son passé d’ange noir, une sorte d’ablution vampirique m’a-t-il dit un jour. Un pied de nez aux anges qui l’ont banni, un clin d’œil à son ancienne famille. Vivre ainsi est parfois amusant mais le plus souvent pénible. Je me sens seule dans ce monde où je n’ai pas ma place. Heureusement que l’amour fait des miracles même pour moi qui n’en mérite pas. J’écris dans ce petit carnet, qui je suis vraiment. Je veux pouvoir laisser une trace pour que vous compreniez que je ne suis pas seulement une bête sanguinaire dépourvue de sentiments.