Nous avions fini par nous laisser aller, suivant la force de l’arc. La vitesse à laquelle nous progressions était vertigineuse.
Nous évoluions vers les points brillants qui devenaient plus gros à mesure que nous avancions. Des lieux et des lieux séparaient à présent la maison de Claire et notre position. Je pouvais mesurer l’osmose parfaite que je formais avec mon frère dans cette édifiante sphère protectrice. Ce n’est que lorsque nous commençâmes à pénétrer dans les bois, que je fus certain de notre but. Nous allions débusquer Soltan et peut-être retrouver Elisabeth.
C’est sur une dernière pression, que nous échouâmes dans une clairière. Je distinguai des formes figées sous une pluie de petites lumières miroitantes.
La vitesse de nos déplacements s’était ralentie. Devant nous je différenciais trois vampires ; leur aura ne faisait aucun doute sur leur espèce. Cependant, ce qui me glaça les veines, fut de me retrouver devant la mort elle-même. Les caricatures des dessins de mes livres d’école avaient su parfaitement la décrire. Le seul détail, que l’on ne pouvait deviner dans un bouquin, était l’effet que produisait sa simple présence.
L’arc était soudain devenu glacial et l’atmosphère pesante. Tout le monde se dévisageait dans un silence morbide.
- Eh bien Soltan, tu ne fais pas les présentations ? demanda la mort.
- Soltan ! Ce nom résonna en écho dans notre tête.Nous étions au bout de notre quête. Comme j’aurais souhaité ne pas me trouver ici, seul avec mon jumeau.
Je reconnus avec peine l’homme qui s’avançait, prudent. Mon souvenir de lui, dans la tête de Claire, était plus noir. Celui-ci était propre et bien habillé, beaucoup trop pour se trouver dans une forêt au milieu de la nuit. Que faisaient-ils tous là. Je percevais que notre présence était inattendue, et l’homme, reconnu si bestial, était plus proche d’un dandy que d’un tueur.
- Des présentations ? Je ne vois pas ce que vous attendez de moi, répondit-il d’un ton abrupt.
- Très bien ! Jeune marié, je te présente les fils de Gabrielle et de ton bien cher frère Michel.
Le prénom Michel eut l’effet d’un courant électrique sur Soltan. Malgré le voile de la nuit, je distinguai le feu rougi de ses yeux.
- Baliverne, il n’est plus mon frère ! Ils ne sont rien pour moi.
Une seconde personne s’avança devant nous et la surprise de rencontrer un tel personnage fut grande.
- Il me plairait de me taire mais, dans de telles circonstances, je ne peux point. Je suppose que vous venez vous battre ? Qui défend ses intérêts arme au poing, engendre la violence, c’est évident. Je dois bien avouer que je restai sans voix ; ce jeune vampire avait à peu près notre âge et pourtant son éloquence était stupéfiante.
Je devais aller au bout de ma quête, sinon je le regretterais toute ma vie. L’ivresse de la puissance de l’arc me donna ce courage.
- Vous savez très bien ce que je suis venu chercher. Vous m’avez volé ce que j’ai de plus précieux. Je suis venu mettre fin à vos petits jeux macabres. Les seules brutes camouflées ici présentes, c’est vous. N’inversez pas les rôles.
A ma grande surprise, nos petits échanges semblaient divertir la mort, qui prit place au-dessus d’un tas de gros rochers, comme pour s’installer confortablement près d’un feu de cheminée.
- Tu ne sais pas de quoi tu parles, petit garçon. Ce soir est un jour de fête chez les tiens comme chez les miens et je te propose de remettre cet entretien à plus tard.
- As-tu perdu la tête Soltan, personne ne part d’ici ! As-tu oublié qui se repaît du sang de ses victimes. Le mariage a- t’il fait de toi un amnésique au point d’oublier que ces deux là sont des anges et pas n’importe lesquels, imbécile. Le ciel t’a banni, ils sont tes ennemis.
- Il y a un temps pour tout et là c’est inapproprié. Mon regard est amer et je me sens dépossédé, frustré et injustement puni. Comment pourrais- je oublier ce qu’ils représentent ? Personne n’a le droit de m’en vouloir d’avoir choisi l’amour pour une humaine plutôt que l’amour pour les cieux. C’est tout ce que j’ai à dire à ces deux là, ce soir.
J’avais de la peine pour lui. Le temps semblait l’avoir modifié, j’entendais son cœur battant à la vitesse de millions d’espoirs déçus.
- Je n’ai aucunement l’intention de partir et, s’il le faut, je vais me battre. Tu te caches derrière de beaux habits et un jeune homme instruit, néanmoins je sais qui tu es, une bête sanguinaire sans état d’âme, avec pour seules compagnes la rancœur et la vengeance !
Je ne savais pas comment mon frère avait eu l’audace de crier cela mais j’étais, moi, en perception directe avec ce que Soltan pouvait dire ou ressentir. Je ne voulais pas me battre, je voulais juste m’assurer que tout finirait bien.
- Dépourvu d’humanité, je suis devenu cruel à tes yeux, mais mon cœur n’est pas sec pour autant. Je n’oublie pas d’où je viens. Je compose seulement avec ce qui m’a été offert. Ce n’est pas à ton goût, hélas je n’ai pas d’autre choix : survivre ou mourir.
- La vérité n’est pas forcément la même si l’on est à ta place ou à la mienne, renchérit Samuel.
- Je le reconnais, alors je vais prendre un exemple. Admettons que des règles m’interdisent d’aimer, de vivre où bon me semble, d’avoir ma propre famille, ma propre philosophie de la vie, parce que le ciel trouve que c’est mal. Peut-on accepter que ce soit bien d’être privé de liberté ?
- Ne mélange pas tout, la liberté a ses limites Soltan, au ciel ou sur la terre. Tu supprimes les nôtres ; quelle loi positive te donne ce droit ?
- Le droit naturel, bien évidement. Ma nouvelle condition a ses propres règles et me nourrir de sang m’est vital. Je ne l’ai pas choisi cela, ça m’a été imposé.
- Il y a toujours une alternative à toute chose. Et pour l’enfant, quelle est ton excuse ? demanda mon jumeau.
Je ne m’étais pas rendu compte que la personne plus en retrait dans l’ombre des arbres était, à ne pas en douter, Moeira. Je sentis son cœur se serrer tellement fort lorsque Samuel parla de l’enfant, que je ne pouvais pas en douter. Elle était belle, je ressentais son attachement à Elisabeth. Samuel était dans notre halo, le guerrier, la force et j’avais le rôle du penseur, de l’analyste. Je commençai à scruter chaque détail qui pourrait m’être utile. J’analysai le comportement de chacun, l’environnement. On aurait dit une fête, une célébration peut-être. Soltan y avait d’ailleurs fait allusion. Je me préparais déjà à anticiper le moindre geste de notre adversaire et l’arc se repositionnait sur le mouvement de chacune de nos cibles. Il fallait se rendre à l’évidence, l’arc ne pourrait tirer qu’une flèche à la fois, nous étions en sous-effectifs par rapport à nos ennemis.
- Je n’ai rien à dire. Vous en aurez d’autres des enfants, pourquoi vous attacher à celle-là ? La colère me gagna.
- Celle-là, comme tu dis, est ma chair et mon sang, et si tu veux que notre petite rencontre se passe sans accroc, je te conseille de m’en dire davantage. Je veux savoir comment elle va ? Où elle se trouve ? Tu dois me la rendre, elle n’est pas l’une des vôtres.
- Heu... ! Pardon, si je peux me permettre un détail, dit la mort. Techniquement, il ne peut y avoir d’autre enfant. Je vous rappelle que les jumeaux n’ont droit qu’à une unique portée par lignée. Pour être plus claire, si toi tu es le père, ton frère à perdu la chance d’avoir un jour des enfants. Comme c’est risible, c’est moi la mort qui vous apprend cela ?
- Qu’est ce que tu racontes ? Questionna Samuel.
- Je n’invente rien. Ca fait partie des règles secrètes du ciel, je crois qu’il appelle cela la Balance Céleste. Bizarre, personne ne semble au courant. Pourtant, je vous assure que c’est la stricte vérité. Votre mère aurait pu vous le confirmer, malheureusement votre chemin s’arrête ici.
- La mort a raison, c’est pour cela que j’en ai pris un seul.
- Pardon !!! Tout le monde était interloqué par la réponse du vampire.
- Vous êtes tous tombés sur la tête au quoi ? Soltan dit que la petite Elisabeth a une sœur jumelle. Bordel, Soltan est-ce que tu plaisantes ? Tu ne peux pas être aussi bête et n’en avoir pris qu’une. Te rends-tu compte que tu bouscules tous mes plans ? La mort pestait, elle était énervée, sous sa cape les feuilles tournoyaient à toute vitesse.
- Elle est sans doute morte de toute manière, comme sa mère.
- Claire n’est pas morte ! Nous avions crié cela comme une victoire. Elle se porte plutôt bien même. C’est à ce moment-là que tout s’accéléra.
La femme derrière s’était rapprochée de Soltan à vive allure.
- Alors tu as menti, comment as-tu pu me faire cela. Personne ne me prendra ma fille tu m’entends ? Personne !
- Cette rousse est vraiment idiote, je te l’avais bien dit, ricana la mort. C’est une nature propre au vampire mais, aussi à l’être humain. Tu croyais quoi, que tu épousais un preux chevalier ?
Les yeux de Moeira devinrent rouge vif et une paire de crocs sortit de sa bouche, annonçant que les hostilités allaient commencer. L’arc avait reconnu le danger et immédiatement il enclencha le mécanisme pour tirer sa flèche sur Moeira, qui représentait un danger immédiat.
Un cri strident fendit la nuit noire.
- Non ! Moeira attention !!
- Elisabeth reste à ta place ! la mariée avait fait signe à une personne que je n’avais pas devinée jusqu’alors. Celle-ci courait à la vitesse d’un ange dans sa direction. Je n’aurais jamais imaginé qu’elle puisse être déjà si grande et ça paraissait même absurde. Pourtant, elle était d’une aisance naturelle, une séductrice née, un piège à ennuis tout comme sa mère. C’était bien ma fille, subtile, intuitive et attentive, elle avait deviné le moindre de nos gestes. J’avais cru être l’observateur dans ma bulle, mais j’étais en fait sur sa fréquence à elle. Voilà comment je pouvais avoir de la compassion pour Soltan, pourquoi je trouvais la Mort sans intérêt alors qu’elle m’avait glacé à mon arrivée, pourquoi le jeune homme bien éduqué éveillait en moi un vif intérêt et enfin je compris mon jugement sur Moeira belle et protectrice. J’étais dans sa tête. Je pouvais peut-être lui parler directement. Hélas, je l’avais compris trop tard. La flèche parcourait les quelques mètres entre nous et Moeira, Elisabeth couraient droit dessus en criant.
- Jamais je ne laisserais te faire du mal.
Pour rien au monde je ne voulais la blesser ; si du mal lui était fait je resterais brisé à jamais. Je me mis également à courir dans leur direction. Ma volonté entraîna mon frère dans ma course. Je tentai de l’envelopper dans un voile de protection, ce don que j’avais utilisé pour bloquer l’accès de la maison de Claire à Samuel. Mais, c’était sans compter sur la génétique de ma progéniture, qui avait projeté Moeira au sol, se couchant sur elle, et enveloppée de ce même champ.
Notre vitesse était trop rapide et la protection de notre bulle rencontra mon champ magnétique et celui qu’Elisabeth venait de fermer sur elle et Moeira. La flèche traversa les trois niveaux de couche et se brisa en un éclair qui, à ne pas en douter, avait été vu du ciel. Le contact provoqua une explosion des champs en nous projetant aux quatre coins de la clairière. Les éclats de nos voix et des cris d’horreur résonnèrent de partout, pour se murer ensuite dans un silence de plomb. Nous étions sonnés par le choc, j’arrivais à peine à voir autre chose que cette lumière qui m’avait aveuglé. Je me sentais vulnérable et je pensais être une proie facile. Pourtant, il ne se passa rien ou presque, une berceuse lointaine chantait tel un songe à nos oreilles ou dans nos têtes :
Il est là il veille sur toi, tu n’as qu’à tendre les bras.
De beaux rêves tu feras, de ses ailes il te protègera.
Dors, dors mon beau trésor, il fait très froid dehors.
Je te donne de doux baisers, rien que pour te réchauffer.
Dors, dors mon beau trésor, je serais là jusqu’à l’aurore pour te porter
Je sais que le soleil brille plus fort, maintenant que tu es à mes côtés…
Puis plus rien, pas un bruit, pas un son. Je me demandais si j’étais devenu sourd en plus d’être aveugle.
- Samuel, tu m’entends ? Je tentai de lui parler par la pensée, étant trop affaibli pour dire un mot.
- Oui, où es-tu ? Les vampires ont ramassé Elisabeth et la femme vampire et ils se sont enfuis.
- Mais toi, où es tu ?
- Je suis derrière le presbytère en ruines et toi ?
- Je crois que je suis au même endroit. Mon frère était juste dos à moi ; nous étions tous deux allongés dans les feuilles. Mon Arc au sol nous séparait.
- Je vais avoir un peu de mal à me relever tout de suite.
- Ne t’inquiète pas, j’ai le corps meurtri, j’ai l’impression d’être brisé de partout. J’ai même dû perdre quelques plumes.
- C’était grandiose, nous en avons appris en une nuit plus qu’en pratiquement deux ans d’investigations.
- Oui, mais nous n’avons pas libéré Elisabeth.
- Nous n’aurions pas pu la ramener, elle a pris sa décision Samuel. Durant tous vos échanges verbaux, j’étais sur sa fréquence et je sais ce qu’elle ressent. Elle ignore tout des anges, son monde est vampire. Il va falloir du temps, peut-être ne me reviendra-t-elle jamais.
- Alors, tu vas abandonner ?
- Jamais je ne ferai une chose pareille, mais je sais qu’elle est en sécurité tout le temps que Moeira est à ses cotés. Son amour pour ma fille est immense.
- C’est une situation très délicate, surtout que des questions viennent s’ajouter.
- Oui, j’ai une autre fille quelque part et je te parie mes ailes que Gabrielle le sait très bien. Je te remercie Samuel, je n’aurais jamais réussi sans toi.
- C’était extraordinaire, je ne me suis jamais senti aussi fort et sûr de moi. Comment vais-je pouvoir reprendre ma routine à présent ? Je trouvai la force de rouler sur moi-même et sur le dos de mon frère je vis quelque chose de choquant.
- Samuel, retourne-toi, il y a quelque chose d’anormal. Mon frère roula sur lui-même bon gré mal gré et sur son visage je lus la stupeur et l’effroi.
- Satya ! dit il d’une voix chevrotante, montrant du doigt quelque chose derrière moi.
- J’ai quelque chose à te dire Samuel, garde ton calme. Il avait du mal à avaler sa salive, son regard était effrayé. En même temps, nous posions la question qui était loin d’être un détail.
- Satya, pourquoi tes ailes sont blanches ?
- Samuel, pourquoi tes ailes sont noires ?