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Dévotion
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Dévotion
22 mai 2012

Chapitre VIII. Le jour était arrivé

Elisabeth avait encore grandi, elle ressemblait à une petite fille de six ans. Soltan et moi avions essayé de trouver un ordre logique pour estimer la croissance de l’enfant mais elle n’était pas régulière. Son caractère commençait à s’affirmer et Soltan me reprochait d’en faire une enfant gâtée et capricieuse. La relation de ces deux-là avait un peu évolué, mais elle était toujours emprunte de petits jeux mesquins l’un envers l’autre. Pourtant Soltan préférait ça à l’indifférence d’antan.

Elisabeth ne me laissait plus passer des heures à la coiffer, préférant le faire elle-même et se contenter d’une queue de cheval. Elle ne voulait plus de fanfreluches, petites pinces, robe à dentelles. Mademoiselle aurait préféré porter des pantalons de garçon. Elle trouvait inutile de se faire belle pour rester enfermée entre quatre murs. Parfois, elle ne s’habillait même pas de la journée.

Je profitais toujours des absences prolongées de Soltan pour enfreindre le règlement. J’autorisais de petites promenades autour de la maison, mais toujours dans un périmètre trop petit pour satisfaire complètement Elisabeth, qui aurait voulu parcourir le monde. Elle enviait Soltan de pouvoir partir des jours. En même temps elle ne supportait pas qu’il soit à la maison car les excursions dans le jardin prenaient fin.

Ma fille continuait de s’enfermer dans son mutisme, ne parlant qu’en pensée à travers ma tête. Elle restait toujours de longues heures assise devant la fenêtre à attendre.

Lors d’une de promenade tant attendue, pour la première fois Elisabeth me posa des questions ;  je savais que cela arriverait tôt ou tard. Je craignais que chaque jour soit celui-ci et il était là.

     - Moei, pourquoi es-tu si différente de moi ?  Elle jouait avec ses boucles de cheveux, comme si la question était anodine.

     -Comment ça, je ne suis pas très différente ! 

     - Tu sais bien, pourquoi tu ne manges jamais ? Pourquoi tu restes ici prisonnière comme moi ? Est-ce que je retournerai chez moi un jour ? 

     - Mais tu es chez toi et je ne suis pas prisonnière, c’est pour notre sécurité que nous restons ici.  J’étais en colère qu’elle pense encore avoir un chez elle ailleurs.

    - On est en danger, à cause de moi, raconte-moi,  je veux tout savoir. J’en ai le droit, tu dois me dire la vérité ! 

    - Mon cœur, je ne pense pas que tu sois en âge de comprendre tout ça. Mais je veux bien essayer. Je te préviens, ce n’est pas un conte pour enfant sage et la véracité des faits peut être dure à entendre !

    - Oh oui, raconte-moi tout et n’oublie rien je veux tout savoir. 

L’enthousiasme de l’enfant était déconcertant et compréhensible. Il n’y avait pas grand-chose à faire ici et je n’avais jamais pensé devenir mère d’un nourrisson qui se transformerait en une petite fille en quelques mois. Je n’étais pas préparée à tout cela et chaque jour c’était comme si je devais composer avec une nouvelle enfant. Très vite,  je me retrouvais  dépourvue face à la maturité de la petite.

   - Viens là dans mes bras, je vais te raconter. 

Elisabeth vint se coller à moi et s’installa confortablement, prête à tout entendre et à boire chacune de mes paroles. Elle souriait, ravie du divertissement annoncé.

    - Il y a le monde des humains et le monde des cieux. Il y en a sûrement bien d’autres, mais en ce qui me concerne l’histoire a commencé ainsi.

J’ai été choisie par un ange pour aider à faire de grandes choses sur terre.  Chaque vie, les anges m’accompagnaient afin de faire de moi un être plus pur et plus parfait, pour qu’un jour, à mon tour je devienne l’un d’entre eux.

    - Des anges ! Si c’est une blague ce n’est pas drôle Moei, je veux entendre la vraie histoire. 

- C’est la vraie histoire, petite impatiente, laisse-moi parler.  Dès la première fois que je l’ai vu je n’ai jamais pu l’oublier. Je n’avais jamais rien vu d’aussi délicat, d’aussi beau, d’aussi constant. Mon ange portait de magnifiques ailes noires de jais. Au fur et à mesure, il est devenu ce pour quoi je voulais vivre et pire mourir. Il avait de beaux cheveux foncés assortis à ses ailes qui planaient sur son dos. Durant toutes mes vies, son visage me hantait. Je priais chaque soir pour qu’il vienne me chercher et m’emporte. Je ne pouvais pas vivre sans lui. 

    - Un ange noir, mais c’est quoi un ange ? 

    - Chut, oui il y a différentes  sortes d’anges. Dans mon histoire il y en a deux. Celui de la vie qui te suit dans ton cycle de vie, l’ange blanc, et l’ange noir qui vient te la prendre pour te faire renaître. Je sais que c’est un peu compliqué pour toi pour le moment. 

    - Pas du tout !  Protesta en pensée Elisabeth. Raconte encore. 

    -  A force de l’appeler chaque jour en prière, il est venu et, comme une évidence qui ne s’explique pas, j’étais faite pour lui et lui pour moi. Par amour, nous avons transgressé toutes les règles  du ciel. J’étais prête à tout sacrifier pour être avec lui. Mais l’amour rend aveugle. Je ne savais pas à quel point l’avoir à moi pourrait lui coûter cher. L’ange de la vie a compris notre manège et a demandé à l’ange noir de cesser. Nous avons essayé de lutter contre notre amour, mais celui-ci était trop puissant. Hélas, pas assez pour contrer les lois du ciel. Nous avons donc été dénoncés par l’ange blanc, qui était lui-même le frère de mon bien aimé. La sentence fut sans appel, il fut banni et on lui reprit ses ailes.

Mis à la porte des nuages et reclus comme un malpropre sur terre, il a erré comme un chien battu à mort. On m’interdisait de le chercher.

Jusqu’au jour où j’ai tenté de mettre fin à ma vie, vide de sens, si mon ange ne la partageait plus. Mourir pour lui me semblait moins difficile  que de vivre sans lui. J’ai donc ouvert la fenêtre la plus haute de la maison, j’ai passé mes jambes par-dessus la rambarde et j’ai sauté. J’attendais le choc, qui me serait fatal et me libérerait à jamais de ce trou béant dans mon cœur. Mais cela n’arriva pas, enfin pas tout de suite. 

Elisabeth n’en perdait pas une miette le récit faisait faire différentes mou à son visage poupin.

     - Une ombre m’avait attrapée au vol. A moitié sonnée par la chute et l’adrénaline, je n’ai pas compris ce qu’il m’arrivait. Je sentais le vent coiffer mes cheveux, le sol sous mes yeux défilait, mais, à demi comateuse, je restais inerte. Puis la course s’est arrêtée. On m’a déposée sur un sol humide. La pluie commençait à tomber, annonçant un présage funeste. J’entendais des voix autour de moi et elles me paraissaient lointaines, je ne comprenais pas les mots. Pourtant à un moment, j’ai réussi à entrouvrir les paupières. Il était là, souillé par la pluie, la terre, la honte, se penchant sur moi. J’ai pensé à cet instant que nous étions enfin réunis dans la mort, j’ai même pensé être au paradis. Une violente déchirure pénétra ma gorge, mon corps me brûlait tout entier, ma tête allait exploser. Je sentais le poids de mon bien-aimé sur moi et je perdais mon dernier souffle de vie. Mes veines se sont raidies une par une comme une toile d’araignée reliée à mon cœur. Celui-ci venait de chanter pour la dernière fois sa mélodie de la vie. Il était finalement facile de mourir ;  c’était moins doux que je ne l’avais pensé, mais la vie était bien plus amère et ingrate, alors  me sentant de plus en plus légère, je me suis laissée aller. »

     - Mais tu n’es pas morte puisse que tu es là !

Je regardais au loin, perdue dans mon récit, à mille lieues de la clairière où nous  étions allongées toutes les deux. Mon corps faisait de petits soubresauts, revivant la scène qui m’avait conduite sur le chemin de la perdition, chemin ouvert par mon bien-aimé lui-même.

   - J’ai senti un électrochoc violent, une gourde d’eau fraîche s’est présentée devant ma bouche, je ne  sentais plus mon corps et ma gorge me brûlait de nouveau. J’ai donc bu et bu encore, chaque gorgée était revigorante et redonnait vie à chacun de mes membres jusqu’à remettre le mécanisme de mon cœur en marche. Celui-ci battait plusieurs tons au-dessus de la normale. Il galopait dans ma poitrine, au fur et à mesure que ma soif s’étanchait. Avant de retrouver la vue, je sentais mes sens plus aiguisés que jamais, j’entendais le moindre mouvement d’insectes. Mon odorat s’affinait. J’étais capable de sentir l’odeur de la pluie et de la terre mouillée, d’identifier un effluve de putréfaction, porté par une personne derrière moi. Un mouvement brusque m’arracha mon breuvage d’élixir, j’ouvris instantanément les yeux. C’était la première fois de ma vie que je voyais. Ma vue était décuplée, je voyais à l’extrême. Je pouvais zoomer sur une petite fourmi sans même battre d’un cil. Cette condition nouvelle m’avait somme toute abrutie et je n’avais pas vu ce qui se trouvait tout près. Il me tenait à bout de bras, son regard vermillon me transperçant,  son teint était pâle et ses lèvres fortement rougies. J’ai dû m’écrier devant mon Soltan ensanglanté et j’ai dû tomber dans les pommes. Sans doute le choc. Elisabeth s’était levée d’un bon, me faisant face.

    - Tu veux dire que depuis le début c’est Soltan ? Elle venait de le dire à voix haute.

Perturbée par le son et la voix de l’enfant, la question me ramena à la réalité. Elle chancelait sur ses deux pieds, tenant sa tête entre ses mains

    - Bien sûr chérie, c’est évident que c’est Soltan. C’est mon amour, cela a toujours été  lui et seulement lui.  Assez pour aujourd’hui. Rentrons, nous avons déjà trop tardé et maintenant la soif me taraude la gorge. 

    - La soif ? C’est quoi ? 

   - La suite pour plus tard, nous devons rentrer. Je sentais mes yeux se modifier, mon état de manque commençait à envisager l’enfant comme une proie potentielle.

   - Rentre immédiatement à la maison, je n’en ai pas pour longtemps. Je répondrai à tout, sois en sûre, mais plus tard. 

Sous un regard ahuri, Elisabeth se leva sans protester et prit la fuite dans la maison, certainement apeurée. 

 

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