Plan d'action.

     Je m’éloignai de Moeira le cœur lourd. Je savais que les jours à venir seraient durs et peut-être même sans retour pour moi. Chaque jour, depuis ma transformation, je m’éloignais un peu plus de celui que j’étais. Je gardais en tête que je n’avais pas le choix. Toutes mes décisions avaient été prises pour son bien-être, pour son bonheur, pour vivre et partager notre amour. Cet amour, que je voulais plus fort que tout, plus fort que les lois, plus grand que la vie elle-même. S’il m’arrivait quelque chose, elle aurait maintenant Élisabeth. Pour cette enfant, elle se battrait bec et ongles et même si ma perte était éprouvante, elle s’en relèverait plus forte. Ce qui ne serait pas mon cas. Si Moeira devait mourir, plus rien n’aurait de sens et tout ce pourquoi je me serais résigné à perdre n’aurait plus de valeur. Je chassais mes idées noires et j’accélérais encore ma course. Au détour d’un bosquet je sentis la présence de la faucheuse derrière moi. Haineuse de la découverte faite quelques heures plus tôt, les nouvelles directives allaient être radicales. Elle se sentait défiée par le ciel, qui avait finalement dépêché sur terre un escadron d’anges guerriers et cela n’annonçait rien de bon pour notre nouvelle communauté grandissante.

Je continuai ma route et je pris acte des ordres. A travers le vent froid comme un venin, le son de cette voie d’outre-tombe m’empoisonnait les oreilles.

      - Ils vont payer, tu m’entends? Personne ne se joue de moi. Tu dois encore faire de nouveaux vampires pour combler les pertes! 

      - Ils seront trop jeunes et incontrôlables, ce n’est pas la priorité! 

       - C’est moi qui décide, imbécile ! Tu me dois tout et je peux mettre un terme à ta vie et à celle de ton idiote, si tu me désobéis. Je peux bien choisir un autre chef, personne n’est irremplaçable. Je pourrais capturer cet ange noir procréateur et en faire un être encore plus puissant que tu ne l’es, j’y pense tous les jours. 

La colère me gagna, j’étais fatigué. Je décidai de stopper ma course et d’affronter en face cette conversation perfide.

       - Tu ne pourrais en aucun cas le capturer sans moi, sauf si le ciel le chassait et a priori ce n’est pas prévu au programme! 

      - Que fais-tu idiot, pas le temps de se reposer, ni de pleurnicher! 

      -  La situation est compliquée et passer vos nerfs sur moi n’arrangerait rien. Alors, soit vous avez un plan et je vous écoute, soit vous me laissez faire. Je n’en peux plus de vos grands airs, vous êtes venue me chercher, je n’avais rien demandé, ni moi, ni Moeira. 

Je vis à peine le bras se lever et je sentis la lame m’entailler la poitrine.

La douleur me cloua au sol, la plaie ouverte se refermait plus lentement que d'habitude. La mort se tenait là, flottant tel un spectre au-dessus de moi, ses yeux rouges, perçant le noir de sa capuche, étaient encore plus vifs qu’à l’accoutumée. Mon heure n’était pas encore proche, j’étais le seul sur lequel elle pouvait agir délibérément, ayant bu son sang noir de mort. J’étais devenu en quelque sorte sa progéniture. Malgré ses grands pouvoirs, la mort ne pouvait interagir physiquement sur les individus. Pour les manipuler, les blesser, elle avait besoin de moi. J’étais son corps physique sur terre, elle me voyait ainsi et c’est pour cela qu’elle avait besoin d’un pantin. Toute seule, elle pouvait faire mourir quelqu’un de peur. Les plus vaillants mourraient peut-être de rire devant ce tableau désolé.

      - Tu dépasses les bornes, mon enfant, j’ai toujours un plan pour tout. Il faut faire remonter l’information en spirale. Un groupe informe deux groupes, qui vont le rapporter à trois groupes et ainsi, à la fin de la semaine, tout le monde sera au courant que des anges guerriers nous traquent. Une fois que tu auras transmis l’information, tu t’occuperas de faire d’autres vampires, c’est cela ton devoir immédiat. Nous allons perdre d’autres hommes et il faut les remplacer. Plus vite ça sera fait, plus vite on pourra les préparer au combat. 

      - Ils ne seront pas prêts à temps! 

      - Oh que si, nous allons  les mettre à des endroits stratégiques pour que les anges les trouvent et ainsi, à notre tour, nous apprendrons de cette nouvelle espèce de guerriers. Nous ne pouvons avancer tête baissée, sauf avec des appâts, et les nouveaux vampires  seront ces appâts. Ce n’est pas plus difficile que ça. Je suis curieux de voir avec quelles armes ils se battent, pas toi?

      -  Des dommages collatéraux?  L’idée était bonne et je m’en voulais de ne pas y avoir pensé moi-même.  L’arme, je l’avais entr’aperçue et je préférais taire pour l’instant cette information.

      -  Appelle ça comme tu veux, je m’en moque. Relève-toi, vas trouver le premier groupe. Embauche des idiots sur un prétexte  et donne leur rendez-vous dans deux lunes à l’ancienne mine. Ce lieu est parfait pour les transformer. 

      -  Je ferai comme vous l’avez demandé. 

      - Ah! Je préfère cela, je n’aime pas quand tu me contraries.  Je te surveille, je serai là dans deux lunes aussi, rassure-toi. 

La plaie était refermée. Aucune cicatrice ne resterait, seule une douleur lancinante, qui allait durer des jours et me rappeler que la mort, elle, pouvait me tuer. Je me remis en route, pensant au visage de ma douce pour me donner encore le courage d’avancer. Elle me manquait déjà et j’espérais qu’elle ne rencontrerait pas d’obstacle le temps que je revienne.

      - L'amour engendre des  sacrifices qui conduisent toujours à la haine. Je suis impressionnée par ton attachement à Moeira ; tu pourrais avoir qui tu veux à présent. 

Je pensais que notre échange était terminé, je n’aimais pas parler de Moeira avec la mort.

       - Cela ne vous regarde pas, je vous signale que c’est vous qui nous avez réunis.  Je continuai ma route.

      - Une fois que tu auras parlé à tout le monde, rejoins-moi ici même ; j’aurai un cadeau pour toi. 

Un cadeau empoisonné sans aucun doute. Je fis un geste las de la main et j’accélérai ma course.