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Dévotion
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Dévotion
21 mai 2012

Dans la tête d’Elisabeth.

C’était notre première sortie. C’est bien après que j’ai su combien cette parenthèse d’enfant captif avait été importante pour Elisabeth. Je tiens à le retranscrire pour vous donner le plus d’éléments possible et pour mieux comprendre mon enfant unique dans tous les sens du terme.

Pour elle, c’était comme vivre pour la première fois. Sentir la brise légère sur son visage l’emplissait d’un bien-être encore méconnu. Dehors, seul le bruit des feuilles et de ses pas dans l’herbe résonnait. Elle aurait aimé entendre les oiseaux chanter mais dès que je sortais de la maison, la faune cessait toute  activité et se muait dans un silence observateur et craintif.

Elisabeth aurait aimé partir à toute vitesse vers le parterre de fleurs pour se détendre les jambes ; la petite distance de la chambre à la porte d’entrée avait été magique. Mais, par crainte que je ne revienne sur ma décision, elle se contentait de rester calme à mes côtés. Elle avait donc marché prudemment jusqu’au grand châtaignier, avec moi sur les talons, qui regardais à droite à gauche, en quête du moindre bruit suspect.

Ce jour-là, assise face à face, j’équeutais des pâquerettes et enfilais les corolles des fleurs sur une liane, pour faire une couronne, que j’avais délicatement posée  au sommet de sa chevelure d’enfant. Elle était restée là, presque immobile, s’imprégnant des odeurs fraîches de la forêt. Les yeux dans le vague, elle semblait à mille lieux de ces bois. Je pensais qu’elle était malheureuse et je me trompais, elle souffrait en silence. Ici au milieu des arbres, elle prenait acte de sa différence, des ses capacités et de ses limites qui la rendraient prisonnière d’elle-même.

Elisabeth aurait bien attendu assise ici une éternité. Dehors, le bourdonnement continu dans son crâne était plus faible et c’était reposant. Un brouhaha incessant lui causait des migraines et l’empêchait complètement d’émettre quelques sons. Les rares tentatives de prononcer un mot à haute voix revenaient en ondes de douleur insupportables. Elle entendait toutes sortes de voix, son cerveau semblait être sur un réseau de communication, où chacun semblait attendre quelque chose d’elle. Une voix  chantante pourtant lui était agréable, mais elle arrivait très peu à l’entendre, elle passait ses journées à trier les voix de ses pensées pour lui répondre, mais souvent son dialogue à elle restait sans écho. Elle entendait le ton mystérieux autour de l’auteur et ressentait les sentiments qui l’entouraient. L’ambiance était chaleureuse et familiale, mais empreinte de grands secrets. Rien à voir avec les lieux où elle se trouvait, ici tout était si triste et terne.  Caché dans les bois, le soleil ne semblait jamais se lever. Et dans sa tête, une berceuse revenait sans cesse et parfois elle me la chantait : Petit ange du ciel, pourquoi es-tu triste, tes yeux sont remplis de rêves nostalgiques. Petit être sur terre si fragile au creux de mes bras, tu seras ce que j’ai de plus magnifique. Tu es mon miracle, tu es unique, tu ne crains rien, le ciel est porté de tes mains. Rien ni personne n’est plus important que toi, un jour tu seras reine, tu seras roi.

Elisabeth essayait de s’accrocher à ses souvenirs des mois passés mais, le temps avait raison d’elle, elle oubliait d’où elle venait, qui elle était.

Pourtant, elle sentait qu’on la cherchait et chaque jour, devant la fenêtre, elle attendait sa délivrance, apprivoisant les échanges incongrus qui sonnaient dans sa tête. Parler à voix haute était trop pénible, le son lui explosait les tympans, alors elle ne disait jamais rien.

Ici, dans l’herbe c’était reposant. Elle avait essayé de prononcer une phrase même courte.

Je posai sur mon enfant un regard bienveillant, cherchant à la rassurer.

   - Moeira !  Réussit-elle à dire ce jour là, d’une toute petite voix.

   - Tu parles, oh merci mon dieu j’ai cru que tu avais un problème, pourquoi tu ne le fais jamais. 

Le son de sa voix l’avait troublée, elle était confuse. C’était la même tonalité que celle qu’elle cherchait en pensée. Pour la première fois, des larmes avaient trouvé ses yeux. Des larmes de douleur pour seulement un mot prononcé.

   - Oh !  Non, ne pleure pas ma chérie, ne pleure pas. » Je l’avais  prise dans mes bras.

Le visage dans mes cheveux roux, elle me murmura à l’oreille :

   -  je ne peux pas, ça fait mal de parler.  A cette époque, je n’ai pas compris son état de douleur et cela m’aurait évité bien des désillusions à venir. Je ne voulais pas la voir souffrir, alors je lui demandai de ne pas dire un mot pour le moment et de prendre son temps.

   -  Je t’aime ma petite princesse, je ne veux pas que tu souffres. Allez viens, rentrons. 

   - Déjà ?  Dit-elle en pensée.

   - Oui, je suis désolée, mais c’est déjà trop risqué, nous ressortirons bientôt. Mais si tu veux, tu peux courir à toute vitesse à la maison, je te suis. 

Sur un début de sourire, elle m’avait échappé en moins d’un battement de cils. Elle faisait déjà un signe de la main, derrière la fenêtre, à l’intérieur de la maison.

Elle avait retrouvé sa place, le regard vide, errant dans les sons jusqu’à s’endormir assise.

Ce jour là, je la posai doucement dans la chambre, lui déposant un baiser sur le front. Il était l’heure pour moi d’aller chasser. J’étais certaine qu’Elisabeth  savait que notre famille s’adonnait à des coutumes particulières. Mais pour le moment, nous n’avions jamais abordé le sujet ni l’une, ni l’autre. Je redoutais déjà ce jour où la vérité serait le reflet exact de ce que je serais à jamais pour ma fille : un monstre ou une mère.

Elisabeth se sentait déracinée. Qui était-elle ? Pourquoi chaque jour devant la glace, elle était légèrement différente ? Pourquoi entendre tellement de voix et ne pas pouvoir supporter la sienne ? Chaque question en amenait une autre et aucune réponse pour la rassurer.

 thCAWFFCCJ

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