Chapitre 1 - Le ciel dans les temps jadis.

Je viens d’un autre monde, un peu plus haut que le vôtre, et je vis la plupart du temps caché dans un pays de nuages, dans un château de cristal flottant au milieu de nulle part. Ce lieu divin est un joyau de pierres scintillantes, un halo de lumières dorées, une demeure féerique. C’est un palais tout en relief, avec une grande tour qui surplombe quatre tourelles imposantes représentant nos différents quartiers, réparties par fonction.

Ce monument, pour quiconque le verrait sur terre, serait telle une reine, qui aurait revêtu sa plus belle robe blanche, étincelant de mille feux. Sous  sa majesté, se cache une verrière, qui abrite un immense  jardin fleuri où coule une cascade de jouvence. C’est l’essence même de l’idée que l’on se fait du paradis.

Une luxuriante végétation pousse en ce lieu. On peut imaginer la douce odeur diffusée par le chèvrefeuille, le jasmin  ou encore la rose, rien qu’en le survolant. Mais aussi le goût des gros raisins rouges sur la vigne, des oranges et des citrons qui colorent les feuilles avec leurs touches vives. C’est un havre de paix, idéal pour se reposer, réfléchir ou s’entretenir au calme.

La belle, en son centre, couve une grande salle où a lieu, en ce moment même, le conseil de l’assemblée du ciel.

C’est aujourd’hui le grand jour, celui où nous allons devenir des anges à maturité. Un des jours les plus importants de ma vie, qui va, pour la première fois, m’éloigner de mon frère.

-  Je me présente Clotaire, ange dominant ; j’œuvre comme gouverneur céleste. Je vais vous expliquer ce que l’on attend de vous : l’assemblée est réunie pour procéder à la remise de vos ailes et décider à quelle famille vous appartiendrez : les anges de vie, les vertueux qui portent un plumage blanc, ou les anges de la mort, les puissants qui, eux, ont un plumage ébène. Ces deux branches sont sous  la coupe des gouverneurs célestes dont je fais partie. Nous autres gouverneurs dépendons de la principauté que sont les anges unificateurs, gardiens de toutes les grandes communautés, telles que les villes et les nations, terre et ciel confondus. Elle dépend elle-même des anges angéliques, la première sphère œuvrant sur tout ce petit monde. Tout en bas de l’échelle il y a les petites mains, appelées aussi les premiers anges, qui sont aussi indispensables que nous tous. 

Chacune des personnes de l’assemblée se jetait un coup d’œil en coin. Nous étions tous impatients d’entrer dans le vif du sujet et personne n’avait envie d’entendre un plaidoyer sur la hiérarchie des anges, mais il fallait en passer par là.

- Nous avons  pour mission d’assurer la pérennité des âmes pures. Un ange de la vie  est  envoyé sur terre comme guide spirituel auprès d’un humain choisi. Chaque humain naît avec des sens plus ou moins développés. Certains sont plus doués que d’autres et ce sont ceux-là qui nous intéressent. Nous allons développer ce potentiel en sommeil. L’élu se voit attribuer un ange de la vie pour parfaire son apprentissage pour sept cycles de vie. Le chemin sera long et tortueux mais, si chaque étape est réussie, l’élu renaîtra parmi nous, ange. L’ange blanc se doit d’assurer la vie mais aussi et surtout l’accomplissement de chaque cycle. Pour cela, il faudra maintenir une barrière de sérénité autour de votre humain et établir un rapport de confiance. Je vous rappelle que nous voulons des résultats.

Chaque cycle de vie est interrompu par l’ange noir. Cette pratique consiste à extraire l’âme du corps, par aspiration, et est appelée plus communément : l’ablution. L’âme est renvoyée dans une nouvelle vie et dans un nouveau cycle, ici même dans le bassin des naissances. Je vous rappelle que celui-ci a pour rôle d’assurer la continuité du cycle : c’est la passerelle pour la vie d’après.

L’élu  aura donc sept fins de vie. La dernière  ablution donnera naissance à un petit ange parfait dans notre ciel. Sachez que des exceptions existent. Certains humains renaîtront au ciel adulte, ayant acquis une maturité d’esprit sur terre. Mais cela reste très rare ;  seuls quelques-uns d’entre nous y sont parvenus.

Le bon déroulement de votre mission ne peut se faire qu’en travaillant en équipe. Le binôme formé doit être en parfaite cohésion.

Je vais demander à nos jeunes anges arrivés à maturité complète de s’approcher du bassin des naissances, le Berceau.

Un bruit sourd parcourut la voûte. Chacun était stressé, anxieux et pressé d’avancer devant l’immense bassin, qui ressemblait à une piscine antique en forme de coquille d’huître. Les bords sculptés de feuilles d’or, qui habillaient le tour, étaient irréguliers et pas plus hauts qu’une marche d’escalier. Le reflet argent de l’eau ressemblait à un miroir mouvant, à la fois épais et fragile. A cet instant, mon cœur battait la chamade et je n’osais rencontrer le regard de mon frère à mes côtés, que je sentais dans état similaire au mien. Le jour tant attendu était enfin arrivé. C’était la consécration, nous allions devenir des anges, pour de vrai.

- Merci, de vous immerger avec vos toges dans le bassin, chacun votre tour. 

Une vingtaine de jeune gens, plus beaux les uns que les autres, se plongèrent chacun leur tour dans le liquide épais argenté. C’était devenu la cour des miracles. Au bout de quelques secondes, le bassin propulsait le corps immergé vers le sommet.

Un corps brillant parfait se trouvait rejeté à deux mètres au-dessus du berceau sacré, donnant naissance à un ange. Dans l’éclosion des eaux, de grandes ailes  de plumes encadraient la silhouette dans une lumière éblouissante : un spectacle magique même pour Clotaire qui était toujours aussi impatient  d’apercevoir  les corps resurgir à vive allure. Personne ne pouvait se lasser de voir se déployer les ailes, qui annonçaient la couleur et par conséquent la branche à laquelle appartenait l’ange nouveau.

Des cris de surprise et d’émerveillement s’échappaient des participants devant les premières naissances. L’excitation était grande, passé l’inquiétude de ce qui allait survenir, tous attendaient leur tour avec impatience. Quand vint le nôtre d’avancer.

Maintenant près de dix nouveaux anges blancs se familiarisaient dans les airs avec leurs atouts. Clotaire nous regardait avec grande attention. Nous sommes les deux fils de la famille Michel, les jumeaux Samuel et Satya. Nos parents sont deux archanges très appréciés de la communauté céleste Michel et Gabrielle.

 Mon père n’est autre que l’archange Michel  appelé aussi Prétien, car il possède  une paire d’ailes bicolores, ce qui signifie qu’il appartient aux deux branches.  Michel a une stature imposante, un corps musclé. Le visage toujours fermé, ne laissant aucune émotion transparaître. Ce père strict et autoritaire inspire le respect et la crainte, malgré un visage angélique. Ses grands yeux bleus et sa cascade de cheveux bouclés, aux reflets dorés, ne laissent pas indifférent. Il n’a jamais été très présent dans notre vie d’enfant, trop occupé par ses prérogatives. Ce travail acharné fait de lui un puissant protecteur du ciel. Michel défend l’humanité contre les esprits du mal et les démons, aidant les âmes souffrantes dans l'au-delà, protégeant des dangers imminents.

Ma mère est l’archange Gabrielle, une beauté majestueuse, une femme frêle et longiligne, ses traits sont fins et gracieux, une véritable déesse. C’est la douceur, la pureté de la féminité même, elle est la grande protectrice de l’enfantement. Et par conséquent la meilleure des mères. Aimante, présente et rassurante. Pour autant ne pas se fier à son air fragile et cristallin, on dit que cette femme peut être une grande guerrière, sans jamais avoir recours à la force physique, mais plutôt psychique. Nous n’avons jamais bien compris jusqu’où s’étendaient ses pouvoirs et son travail au ciel.

C’était à nous. Sous leurs regards bienveillants, la relève était là. L’héritage de leurs pouvoirs, la fusion de leur amour. Le sort avait décidé de partager l’héritage sanguin en deux anges.

Je pris place dans le Berceau,  de longues minutes s’écoulèrent dans un silence de plomb, je sentis toute l’attention posée sur moi et le doute m’envahir. Au milieu du liquide épais, j’attendis patiemment. Des petits chuchotements parvinrent de-ci de-là, car rien ne se passa. Je cherchai des yeux mon jumeau, un visage rassurant et c’est Clotaire qui vint à mon secours.

- Samuel je te prie d’entrer avec ton frère, il semble que le choix ne se fasse qu’à l’unisson de vos corps.  Clotaire fit signe à mon frère, le pressant de me rejoindre.

Dans un silence à peine troublé par des battements d’ailes, une longue et interminable  minute s’écoula, suivie d’un grondement  bouillonnant. Le bassin renvoya  nos deux corps dans une pluie d’eau scintillante, les gouttes qui retombaient étaient cristallisées telle une pluie de mille diamants chantants. C’était fabuleux, extraordinaire rien de comparable aux autres transformations.

Je sentis mon corps et celui de mon frère dans une unité parfaite et complémentaire. L’intérieur de nos corps était empli d’une chaleur douce et bienveillante. L’éclosion des ailes ne procura aucune douleur, elles vinrent s’incruster naturellement dans notre dos comme si elles avaient toujours été présentes, mais invisibles pour quiconque. Nous étions au phénix du bassin et nous venions de naître anges sous l’assistance de nos semblables. Et pour la première fois nous allions être différenciés, mais somme toute unis.

Clotaire fit un signe de tête entendu aux parents ravis.

Lors de la cérémonie de l’évolution, au  ciel devant le berceau de la vie mon frère Samuel se vit attribuer une paire d’ailes blanches  et moi, Satya, une paire d’ailes noires. Le sort venait de marquer notre première séparation. J’appartenais aux puissants, Samuel aux vertueux. Nous allions  avoir la chance de travailler en équipe et nous resterions ensemble. Seule, cette perspective nous importait. Continuer de ne faire qu’un, chacun dans notre nouvelle famille.

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