Bellême nous voilà

La première chasse d’Elisabeth fut catastrophique pour un vampire, mais pour une petite fille pleine de fougue et presque livrée à elle-même pour la première fois de sa courte vie, ce fut certainement le plus beau jour. Je ne pus bien évidemment rien chasser, car Elisabeth s’était tout au long de la journée attachée à faire fuir l’animal par tous les moyens possibles, préférant croquer à pleines dents dans les fruits trouvés sur notre route. J’en avais donc conclu qu’elle n’était simplement pas prête et que sa transformation n’était pas encore complète. En fin de journée, comme promis, nous nous dirigeâmes vers Bellême pour prendre possession de notre nouvelle vie.

A cette heure, les rues commençaient à être désertes et Elisabeth ne manqua pas de regarder de tout côtés pour apercevoir un humain, telle une chasse au trésor elle en avait fait sa priorité. Hélas pour elle, le soleil se couchant, elle ne put apercevoir que des silhouettes. Je lui  promis que bientôt elle serait confrontée au monde incessant de la ville, avec ses bruits et ses odeurs et que très vite elle n’aspirerait qu’à la tranquillité de notre demeure. 

Nous y étions. Une petite allée de dalles de pierres travaillées par le temps avançait jusqu’au seuil de la porte. De chaque côté, une végétation diverse et variée cachait l’entrée principale comme un secret bien gardé. Comme je l’avais décrite à Elisabeth, la maison était toute en bois, la peinture blanche était écaillée par endroits, cela était dû au manque d’entretien et au vent de mer qui la malmenait régulièrement. Trois petites marches donnaient sur une petite terrasse couverte qui faisait le tour de la maison. Devant l’une des fenêtres, une balancelle vieillie grinçait au gré des courants d’air. La porte était gardée par deux fenêtres avec des volets qui devaient être à l’origine bleus.

Elisabeth était sans voix, cachée derrière moi, elle me serrait la main fortement. J’étais très curieuse de voir l’intérieur car dans la précipitation, je ne l’avais même pas visitée. J’avais pourtant un bon sentiment et je savais qu’avec un peu d’huile de coude, elle serait bientôt la maison de mes rêves. Nous fîmes le tour de la maison. Derrière la configuration était la même, une porte et deux fenêtres, néanmoins la vue était vertigineuse.  Un petit banc de pierre faisait face à l’océan à perte de vue, en contrebas on pouvait apercevoir le port et les bateaux amarrés.  Nous restâmes prostrées un long moment, lovées dans les bras l’une de l’autre devant ce spectacle féerique. La lune donnait des reflets argentés à la couleur de l’eau. Le ciel et la mer ne faisaient qu’un. Je ne pourrai jamais oublier ce moment de plénitude qui m’envahit ce jour là. Je regrettais juste que mon prince des ténèbres ne soit pas à nos cotés pour partager ce moment rare.

         - Il est temps de découvrir ce qui nous attend à l’intérieur ma princesse, te sens-tu prête ? Pour réponse j’eus seulement un signe de tête timide. Elisabeth toujours cachée dans mes jupes, nous retournâmes sur le perron arrière.

La porte était coincée. Toutefois je réussis à la forcer et elle céda.

Dans un grincement qui fendit le silence, la porte s’ouvrit sur notre nouvelle vie. Je sortis d’une de mes manches une bougie et à sa lumière dansante nous visitâmes les lieux. C’est avec un grand bonheur que je vis qu’elle était sommairement meublée, juste le nécessaire pour commencer. Quatre pièces en enfilade offraient une belle superficie. La pièce principale  ressemblait un peu à notre salon de l’ancien presbytère : une grande table, quelques chaises abîmées, un vaisselier sans vaisselle adossé au mur. Malgré cela, près de la cheminée, de très beaux fauteuils se faisaient face autour d’une petite table ronde, le tout abandonné sur des tapis poussiéreux. Derrière les fauteuils, des gros coffres de voyage couverts de cuir étaient là, vides de leur contenu. Dispersés dans la pièce, des chandeliers étaient disposés et je m’empressai d’allumer chacun d’eux afin de rassurer mon enfant qui semblait paralysée.

          - N’aie pas peur Elisabeth, regarde c’est mieux avec un peu de lumière ?

          - Je suis gelée ! J’avais toujours tendance à oublier que ma fille était différente de moi et qu’elle craignait le froid. Ma condition de vampire m’avait soulagé de tous ces désagréments. En quelques secondes, je réduisis une des chaises en piteux état en petit bois dans la cheminée. Très vite, des flammes dansèrent et j’invitai Elisabeth à se rapprocher pour se réchauffer.

          - Je te demande d’avoir confiance en moi. Dès demain nous allons faire de cette maison, un palais. La pâleur de son visage me fit de la peine et je priai secrètement pour qu’une literie soit également restée. La surprise fut bien meilleure que dans le salon. Les trois autres pièces offraient trois chambres aménagées avec des lits constitués de châssis en bois et entourés d’épais rideaux censés isoler ses occupants des courants d’air, c’était juste parfait Soltan serait satisfait par ce détail qui amenait une certaine intimité. Chacune des chambres contenait également une grande armoire solide et un cabinet de toilette. A mon retour dans la pièce principale, Elisabeth s’était endormie comme à son habitude. Je décidai de la laisser près de la chaleur du feu afin qu’elle ne tombe pas malade. J’alimentai la cheminée toute la nuit et  me transformai en fée du logis en dépoussiérant la demeure, pour la rendre la plus saine possible et ce jusqu’à l’aube. Au petit matin, tout était en place, propre, rangé et presque coquet. La nuit prochaine, j’envisagerai de visiter nos proches voisins pour les soulager de quelques biens qui nous seraient utiles en attendant que le reste de nos affaires arrive.